Les semences sont le fondement de l’agriculture. Elles sont le dépositaire du potentiel génétique des cultures que nous plantons, résultant de l’amélioration et de la sélection effectuées par les sélectionneurs et les agriculteurs-éleveurs au fil du temps. En tant qu’agriculteurs biologiques, nous comptons sur des semences adaptées à nos conditions de culture et à notre climat plus que les autres agriculteurs, car nous n’utilisons pas de pesticides et d’engrais synthétiques. Nous comprenons que les semences peuvent fournir les outils génétiques qui nous aident à relever les défis posés par les parasites, les maladies et la nutrition des plantes. Nous devons avoir accès à des variétés qui conviennent non seulement à la production biologique, mais aussi à notre écosystème local. Notre défi consiste maintenant à développer un système de semences biologiques au Canada qui permettra aux agriculteurs biologiques d’avoir accès aux variétés dont ils ont besoin.
Nous savons que certaines semences conventionnelles donnent de bons résultats dans les systèmes biologiques, mais elles doivent être propagées biologiquement et les coûts supplémentaires qui en découlent font que les entreprises semencières sont souvent moins intéressées à produire des semences biologiques. La possibilité de demander une dérogation et d’utiliser des semences conventionnelles non traitées est importante pour que les agriculteurs biologiques aient accès aux variétés dont ils ont besoin en quantité et en qualité suffisantes. Si cela permet à notre secteur de se développer, cela signifie également que les entreprises semencières ne sont pas suffisamment incitées à augmenter la production de semences biologiques.
L’étude de COTA intitulée The Market for Organic and Ecological Seed in Canada montre à quel point les interprétations divergentes des règles de dérogation sont problématiques au Canada. Les inspecteurs interrogés suggèrent que si certains agriculteurs font de gros efforts pour acheter des semences biologiques, d’autres ne le font pas. Selon un inspecteur, « certains producteurs cherchent vraiment à obtenir des semences biologiques, d’autres à peine, ils notent trois sources qui ont dit non et les OC acceptent cela… Je pense que les OC devraient augmenter les attentes en matière de semences biologiques »[1].
Aux États-Unis, certains certificateurs demandent aux agriculteurs d’améliorer leur approvisionnement en semences biologiques. Dans son rapport 2016 sur l’état des semences biologiques, l’Organic Seed Alliance a constaté que lorsque les certificateurs demandent une amélioration de l’approvisionnement en semences biologiques, les agriculteurs répondent en utilisant davantage de semences biologiques. Selon la réglementation biologique de l’UE (règlement (UE) 2018/848),la possibilité de demander des dérogations sera progressivement supprimée d’ici à la fin de 2035. Nous ne pouvons pas ignorer la direction prise par nos partenaires commerciaux et les efforts considérables déployés aux États-Unis et dans l’UE pour développer des systèmes de semences biologiques solides.
Un autre défi auquel nous sommes confrontés dans le développement de notre secteur des semences biologiques est la concentration sans précédent des entreprises semencières mondiales. Les petites entreprises de semences sont rachetées par des multinationales agrochimiques.
Pour ces entreprises, les semences ne sont qu’un élément de leurs ventes d’intrants agricoles et chimiques, et un autre moyen d’intégrer verticalement le marché agricole mondial des semences transgéniques et des produits chimiques. Trois entreprises possèdent maintenant plus de 60 % des semences dans le monde[2]. Cette concentration du secteur mondial des semences représente une menace réelle pour les produits biologiques au Canada.
Nous sommes également confrontés aux défis du système réglementaire. Selon une analyse réalisée en 2013 par l’Initiative de la famille Bauta sur la sécurité des semences au Canada, en général, les règlements régissant les semences au Canada ne sont pas favorables au développement du secteur des semences biologiques. Par exemple, l’enregistrement des variétés et le système de certification des semences sélectionnées sont adaptés à la production de semences conventionnelles plutôt qu’au développement de variétés qui seraient bien adaptées à la production biologique[3].
Dans son rapport intitulé The Market for Organic and Ecological Seed in Canada, l’Association canadienne des producteurs de semences (COTA) énumère les principaux obstacles à la sécurité des semences biologiques, dont l’un des plus importants est le manque d’investissements importants des sélectionneurs dans les progrès génétiques des variétés biologiques au Canada [4]. Les redevances versées par les producteurs biologiques sont généralement investies dans la sélection de plantes non biologiques, et souvent même dans des variétés développées à l’aide de techniques GM.
Les semences et leur sélection doivent être entre les mains des agriculteurs, en partenariat avec les programmes de sélection publics et privés. La sélection publique joue un rôle essentiel dans le développement de variétés qui ont été immensément utiles aux agriculteurs biologiques. La recherche et le développement pour l’amélioration des semences ont longtemps été un domaine public et une activité gouvernementale pour le bien commun. Nous devons également soutenir les sélectionneurs privés qui développent des variétés bien adaptées à l’agriculture biologique et à faible niveau d’intrants. Le moment est venu pour nous de plaider en faveur de l’investissement de fonds publics et privés dans la recherche sur les semences biologiques.
Des efforts intéressants sont déployés dans le monde entier pour renforcer les systèmes locaux de semences biologiques. Dans l’UE, LIVESEED organise des formations à la ferme sur la production et la transformation des semences, et teste différents traitements biologiques des semences pour améliorer leur santé et leur vigueur. Des efforts sont également en cours dans l’UE pour faciliter l’enregistrement des cultivars issus de l’agriculture biologique, qui peuvent être moins uniformes que les hybrides F1 des entreprises de sélection commerciales. Aux États-Unis, le RAFI travaille à la promotion de semences et de races adaptées à la région. L’initiative « Open Source Seed » prend de l’ampleur dans l’UE, aux États-Unis et en Argentine. Au Canada, les programmes de sélection végétale participative ont été très fructueux, les lignées ayant un meilleur rendement que les variétés de contrôle.
En ce moment, nous avons l’occasion de créer un système de semences biologiques qui soit très différent du système de semences dominant. Nous devons établir des relations avec les sélectionneurs régionaux de plantes. Nous devons développer des mécanismes solides pour augmenter le financement du développement des semences biologiques. Nous devons soutenir la réapparition des petites entreprises de semences. Nous devons soutenir la prochaine génération de sélectionneurs de plantes. Nous devons protéger, améliorer et utiliser les semences adaptées aux régions. Nous devons former et soutenir une nouvelle génération d’agriculteurs sélectionneurs participatifs. Nous devons soutenir le développement de la production de semences biologiques afin de fournir des semences de qualité dans les variétés et les quantités dont les agriculteurs ont besoin. Nous devons défendre les semences biologiques en travaillant avec les organismes de certification pour garantir une application cohérente de l’option de dérogation. Le temps est venu pour nous de donner la priorité au développement d’un système de semences biologiques robuste au Canada. L’avenir de notre approvisionnement en aliments biologiques en dépend.
[1] COTA. Le marché des semences biologiques et écologiques au Canada, 2014. P 39.
[2] IPES Food. Too Big To Feed. 2017
[3] L’initiative de la famille Bauta sur la sécurité des semences canadiennes, Document de travail : La politique semencière au Canada,2014. P. 4.
[4] COTA . Le marché des semences biologiques et écologiques au Canada, 2014. p 41.
À propos de Lisa Mumm:
Lisa Mumm a été élevée sur la ferme familiale de semences et de moutons biologiques, et est une agricultrice de quatrième génération. Avec sa mère Maggie Mumm, elle dirige la ferme et l’entreprise familiale, Mumm’s Sprouting Seeds. Lisa travaille dur pour renforcer le secteur biologique au Canada. Elle a travaillé avec le Réseau canadien d’action sur les biotechnologies dans ses efforts pour stopper la luzerne génétiquement modifiée, et est membre du comité du Fonds de protection de l’agriculture biologique de SaskOrganics. Elle est également membre de la table ronde fédérale sur la chaîne de valeur des produits biologiques et représente le secteur biologique au sein du groupe de travail sur la modernisation de la réglementation des semences. Elle représente l’ACO au Comité consultatif sur la protection des obtentions végétales de l’ACIA. Elle siège au conseil d’administration d’Organic Connections depuis 2012 et a passé sept ans au conseil d’administration de COTA.
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